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Qui sème le vent

Là-dessus ils découvrirent trente ou quarante moulins à vent qu’il y a en cette plaine, et, dès que don Quichotte les vit, il dit à son écuyer :

– « La fortune conduit nos affaires mieux que nous n’eussions su désirer, car voilà, ami Sancho Pança, où se découvrent trente ou quelque peu plus de démesurés géants, avec lesquels je pense avoir combat et leur ôter la vie à tous, et de leurs dépouilles nous commencerons à nous enrichir : car c’est ici une bonne guerre, et c’est faire grand service à Dieu d’ôter une si mauvaise semence de dessus la face de la terre.

– Quels géants ? dit Sancho.

– Ceux que tu vois là, répondit son maître, aux longs bras, et d’aucuns les ont quelquefois de deux lieues. »

(Extrait de Don Quichotte de Miguel Cervantes)

Si l’on compare la physionomie de nos paysages ruraux contemporains à ceux du XVIIe siècle décrits dans l’oeuvre de Cervantes, on réalise que les moulins de son temps ont disparu pour laisser place, en guise de progéniture, à des édifices d’apparence similaire, les éoliennes, version moderne de leurs ancêtres dont la technologie et la démesure donneraient matière à réfléchir à Don Quichotte, avant de remonter sur selle et reprendre le combat. L’implantation en grand nombre de ces éoliennes au XXIe siècle en France et dans le monde apparaît comme une des solutions possibles et nécessaires face à l’urgence de la menace écologique sur notre planète. Pour autant, le débat qui sévit entre partisans et détracteurs oppose bien souvent des visions manichéennes. Selon les enjeux environnemental, économique ou idéologique, difficile de faire la part des choses : le consensus est loin d’être trouvé.

Changement de décor

D’un point de vue esthétique déjà, les avis sont partagés. S’il vous arrive de longer un champ d’éoliennes à la faveur d’un trajet en voiture ou en train, le paysage que vous observez à travers la fenêtre peut vous paraître gracieux. Ces hautes silhouettes, aux bras immenses qui décrivent des cercles réguliers, donnent l’impression d’une chorégraphie singulière, lente, comme figée dans une monotonie tout à la fois majestueuse et maladroite, qui m’évoque pour ma part l’Albatros de Baudelaire dont les «ailes de géant l’empêchent de marcher». De nuit, leurs lumières rouges clignotantes, qui les signalent aux avions, offrent un spectacle d’ombres tout aussi curieux.

Vous pouvez aussi, à l’instar de Valéry Giscard d’Estaing, déplorer cette dégradation du panorama.

Dans un entretien accordé à Reuters le 20 novembre 2009, l’ancien président de la République Française estimait que les éoliennes dégradent la beauté des paysages et que le secteur est régi par des règles douteuses.

« Le paysage français est l’un des plus beaux paysages du monde mais c’est un paysage sensible, morcelé et assez fragile, juge l’ancien président, qui fut au pouvoir de 1974 à 1981. Quand j’étais président, j’ai essayé de le protéger. A l’époque d’ailleurs, les écologistes le demandaient. Depuis, ils se sont complètement retournés », dit-il en allusion aux associations écologistes qui aujourd’hui défendent l’éolien.

Les coins de campagne vierges de toute installation électrique ou industrielle se raréfient. Outre les éoliennes, pylônes électriques, bâtiments industriels, zones d’activités, lignes de chemin de fer et routes se disputent l’espace disponible. Amoureux de la nature et artistes doivent s’en accommoder. Au gré de leur inspiration, un peintre peut à sa guise choisir de ne pas incorporer dans son tableau les éléments qu’il juge importuns dans un décor naturel, et un photographe avoir recours à Photoshop.

    

A chaque époque ses repères ; là où se trouvaient autrefois de nombreuses croix de carrefour ou croix de chemin qui, au-delà de leur caractère religieux, servaient de guides aux voyageurs, ce sont aujourd’hui les éoliennes qui prolifèrent, investissant de leur présence de vastes étendues de terre.

De par leur imposante stature, qui ne peut échapper au regard, elles dament désormais le pion à d’autres monuments célèbres existant. Le Christ Rédempteur à Rio ou la Statue de la Liberté à New York, avec leurs hauteurs respectives de 38 et 93 mètres, peuvent aller se rhabiller. L’éolienne qui peut atteindre jusqu’à160 mètres joue dans la cour des grands et rivalise plutôt avec le Bouddha du Temple de la Source. De là à la considérer comme l’objet d’un culte païen rendu au dieu Eole, maître du vent, ou bien encore le nouveau symbole incontournable de la foi grandissante envers une forme d’écologie missionnaire, il n’y a qu’un pas, de géant certes, mais la tentation de le franchir n’en est pas moins grande.

Parmi les détracteurs se trouvent évidemment les premiers concernés, à savoir les riverains de ces installations. Pour qui subit au quotidien le voisinage de ces cohortes de cyclopes futuristes, les considérations sont d’une autre nature, et, de leurs clochers ruraux, retentit un tout autre signal d’alarme. Des associations se sont constituées et ont établi des listes de nuisances imputables aux éoliennes, au rang desquelles on trouve le préjudice esthétique déjà évoqué, mais aussi le bruit généré, les conséquences possibles sur le corps humain, le syndrome de l’éolienne, l’effet stroboscopique, les divers dangers pour la faune, les oiseaux en particulier.

Loin d’être négligeable, le risque d’accidents existe. Malgré leur apparente lenteur, la vitesse de rotation des pales est en réalité très élevée, jusqu’à 300 km/h aux extrémités. Il arrive qu’elles se détachent et sont alors projetées à plusieurs centaines de mètres.

Comme toujours, les études et les mesures effectuées sur le sujet diffèrent et se contredisent selon les camps. Au vu de l’enjeu crucial que représente, pour l’avenir de notre planète, la mise en oeuvre de solutions technologiques responsables, l’absence d’un dialogue constructif est tout simplement inconcevable. Le consensus doit être trouvé entre intérêt commun et logique de proximité, contingences économiques et protection de l’environnement, perspectives à long terme et gestion du quotidien, ou comment concilier le bien-être de tous et de chacun.

Sans remettre en cause la légitimité ni l’utilité d’une transition énergétique, il convient néanmoins de s’interroger sur les risques et les abus, notamment en matière de choix des emplacements, quand promoteurs et élus locaux s’entendent dans le seul but de générer du profit, en mettant leur intérêt personnel avant celui des usagers et des citoyens. Prenons garde au sentiment d’impunité que suscite parfois la croisade des écologistes, justifiée par une priorité absolue, une précellence d’ordre global qui transcende frontières et raison d’Etat. Gardons à l’esprit que derrière cet écran de fumée se dissimulent parfois des comportements irresponsables ou malhonnêtes. Dans le genre, la fraude à la taxe carbone, considérée comme l’une des plus grandes arnaques du siècle, est un exemple flagrant de ces possibles dérives.

La bienveillance et les bonnes intentions n’excluent pas la vigilance

« L’individu qui pense contre la société qui dort, voilà l’histoire éternelle, et le printemps aura toujours le même hiver à vaincre. » René Char

Qui a dit qu’il n’y avait plus de saisons, ma bonne dame ? En cas de réclamation, nul doute qu’il existe un numéro à appeler, vert bien sûr, où vous pourrez patienter sur une musique de Vivaldi, qui n’avait pas prévu de finir ainsi ! Dans la série « Game of Thrones », les saisons ont beau s’enchaîner, c’est toujours l’hiver qui arrive : «Winter is coming» .

Bon vent à tous.

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Auteur·e

dunil

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