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On est chez nous : la France tous sujets confondus

Renouvele de la tour de barbe bleue par Ashley Van Haeften via Flickr CC.

Ceci est mon premier billet sur Mondoblog, un baptême en quelque sorte. Aussi, quoi que le titre puisse laisser penser, loin de moi l’idée de produire ici un texte à caractère politique.Cependant, une question se pose, légitime, à laquelle, avant toute chose, il me faut tenter de répondre : QUEL est le SUJET ?

Il s’agit d’un slogan, de format court, tout juste composé de quatre mots et seulement treize lettres. Il fut entendu ça et là dans le cadre de la campagne présidentielle qui vient de s’achever en France, scandé au sein de rassemblements par les partisans d’une candidate qui, à l’instar de la Terre “bleue comme une orange“ de Paul Eluard, nous promettait, elle, une France bleue comme une rose.

Tentative poétique, message idéologique ou pur produit de marketing ? Saurons-nous jamais à combien de nuances de ce bleu (cinquante ou plus?) ce projet nous destinait réellement: “L’azur ! L’azur ! L’azur !“ ? “Tout le bleu du ciel“ chanté par Tino Rossi ? “Rien que du bleu“ chanté par Enrico Macias en guise de Marseillaise ? Un pull marine au fond d’une piscine ? Nos sportifs au maillot de l’équipe nationale ou les fromages dont nous sommes si fiers ? Les bleus de travail ? Le bleu des uniformes, de police par exemple ? La couleur des urgences et des gyrophares ? Les bleus, quand les coups laissent des traces, au corps ou à l’âme ? (pardon, quelle cuisson pour la viande ?) La couleur du sang dont rêvent encore les nostalgiques d’une noblesse déchue ? Une histoire d’ogre barbu ? La couleur de la peau chez les Schtroumpfs ? Les bleus, ceux que peut-être nous aurions été si nous nous étions laissé avoir … comme des bleus ?

  «On est chez nous ! On est chez nous !»

Au niveau littéraire, autant l’avouer, la phrase est basique à l’extrême et dotée de sonorités médiocres. Elle n’en est pas moins singulière ni intéressante à mes yeux. Je pense en effet qu’il y a plusieurs niveaux de compréhension, plusieurs interprétations possibles de cette parole, en particulier dans son contexte. D’un point de vue individuel, si l’on admet que le sujet de la phrase est le même que la personne qui l’exprime, cela donne au singulier :  » je suis chez moi  » . Cette affirmation traduit vraisemblablement la revendication d’un territoire, mais aussi de la part de la personne en question, la volonté de faire respecter son droit d’occupation ou de propriété, face à toute menace ou danger qui pourrait surgir et remettre en cause cet ordre établi.

Barbe bleue par GoddoG via flickr CC

(Interlude)

Conscient de la mauvaise ambiance que ce propos est susceptible de générer, je propose, pour se détendre, de revoir la scène jouée par Alain Chabat, dansant nu, face à Victoria Abril et Josiane Balasko, dans le film Gazon Maudit: « J’suis chez moi! J’suis chez moi! ».

(Fin de l’interlude)

D’un point de vue collectif ensuite, lorsque ce sentiment de peur et de méfiance est partagé par un groupe de personnes, la même affirmation prend alors la forme plurielle : « nous sommes chez nous ». Une troisième solution serait de dire : « on est chez soi ». En fait de sens ou de syntaxe, les trois solutions sont cohérentes.

Dans le langage courant, l’emploi comme sujet des premières personnes du singulier et surtout du pluriel, tend à disparaître au profit du « on », troisième personne du singulier de forme neutre. Protocole, marque de respect, lien de subordination, rapport à l’autorité ou à la hiérarchie, il arrive que l’on utilise la troisième personne pour s’adresser ainsi à des hautes personnalités : « Comment se porte Sa Majesté ? Son Excellence, Monsieur le Président… ». Le même discours distancié peut se retrouver lors d’un échange entre un médecin et son patient, par exemple : « On a bien pris son traitement, Madame Machin ?». Pour peu que l’on donne au médecin la voix de l’acteur Jean-Pierre Marielle, il y a fort à parier qu’on obtienne une variante à la 1ère personne du plurielle : «  Eh bien mon p’tit … Nous jouons les malades on dirait !».  Au diable la modestie, qu’on soit monarque, chanteur de rap (MC est dans la place), ou simplement pourvu d’un ego surdéveloppé, on peut parler de soi à la 3è personne du singulier ou la 1ère personne du pluriel. Je suggère pour illustrer ce propos de se référer au monologue d’Alain Delon en caricature de César, dans le film Astérix aux jeux Olympiques.

Une tendance à la paresse, le choix de la facilité, le goût de l’indiscipline et de l’anarchie, un esprit de rébellion et de contradiction, la langue française cherche sans doute à coller à son époque, où la vitesse fait loi, en adoptant, notamment à l’oral, un style simplifié, plus concis et plus vif, en évitant par ailleurs les contraintes et les pièges que réserve l’emploi du “nous“ aux imparfaits de l’indicatif et du subjonctif.

Ceci étant dit, un autre phénomène également observé peut venir contredire cette hypothèse.Le combat mené pour la parité et la féminisation des mots donnerait plutôt du fil à retordre, puisqu’il convient désormais d’adapter son discours en toute circonstance. Exit la règle de prédominance du genre masculin.Pour désigner un groupe composé d’entités de genres distincts, il faut donc préciser “ils ou elles“, “celles et ceux“ et rebaptiser au besoin la place du Panthéon à Paris, n’en déplaise à Patrick Bruel, la Place des Grandes Femmes et des Grands Hommes.

La France, tous sujets confondus, est une source intarissable de joyeux paradoxes qui font le charme d’une langue capricieuse, imprévisible et indomptable.Au détour d’une phrase, même la plus simple, se cachent parfois un sens multiple, une vérité inattendue. Une lecture littérale du slogan qui m’intéresse voudrait que l’on entende que « quelqu’un est chez nous ! », dont la forme exclamative contient sa part d’interrogation. Le sujet est dans la place : libre à chacun, selon son point de vue, de dévoiler son identité, intrus ou invité surprise !

académie française par drs1ump via flickr CC

Qu’on se rassure pourtant : les Français, fidèles à leur (mauvais) esprit contestataire et démocratique, vont continuer à réclamer toujours plus de règles et de lois qu’ils prendront plaisir à enfreindre, à élire des rois qu’is s’empresseront de décapiter.

Qu’on se rassure : l’épée de Damoclès qui menacerait de nous couper la langue, ne peut rien contre celles de nos immortels en habit vert, qui s’évertuent à défendre, sans pour autant l’interdire, un français sans majuscule.

Qu’on se rassure enfin : tout va pour le mieux au pays de Voltaire, un territoire que j’imagine sans frontières, ouvert à tous les francophones et francophiles, soit me semble-t-il, la définition de Mondoblog, communauté que j’ai l’honneur et la joie d’intégrer aujourd’hui.

Je laisse la conclusion à Hannah Arendt : « Heureux celui qui n’a pas de patrie ».

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Auteur·e

dunil

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